Merci Messieurs!



Le Mercredi 15 Juin 2016, évoque à présent un tas d'images tristes et de sombres souvenirs. Une date tristement marquante pour Haïti et pour cette génération à laquelle j'appartiens. Une génération qui veut vivre de sa passion, être l'acteur principal de sa vie, le dessinateur de son avenir, le bâtisseur d'un pays à la hauteur de ses aspirations. Trouver sa voie, décrocher l’emploi de ses rêves et contribuer à rehausser l'image de sa patrie. C’est ce à quoi l’on aspire, du moins professionnellement et patriotiquement parlant.

23 h 45. Je reçois l'appel d’un ami montréalais, très branché sur l'actualité politique haïtienne. Il veut vérifier une rumeur selon laquelle le président de l’Assemblée nationale aurait utilisé frauduleusement la signature du vice-président pour signer une note de presse annonçant la fin du mandat du président de la République. Stupéfait, je lui dis : « Je ne crois pas mon frère, c'est probablement une fausse lettre! » Il m’invite alors à vérifier mon téléphone en m'indiquant qu'il vient de me l’envoyer.
Photo credit: Jacob S.

Une minute de lecture plus tard, je suis bien obligé de croire. La lettre émane du vice-président de l’Assemblée nationale. Penaud, comme un voleur pris en flagrant délit, je lui demande de m’accorder la soirée pour consulter mes collègues de travail. Dans l'espoir de trouver un sens à ce que je venais d'apprendre, justifier les informations, j'ai multiplié les appels, lu des messages dans divers groupes WhatsApp et fait le tour de certains amis voulant confirmer ou infirmer le départ du président provisoire.

La honte m’envahit, je n’en peux plus, je me mets à réfléchir. Triste, humilié, déboussolé, scandalisé. Tels sont les mots résumant mon état d’âme du moment. Tout un tas de questions me trouble. Ma tête me supplie d’éjecter cette rumination qui me tue : prends-je le pays trop au sérieux? Les deux présidents sont-ils si vides de sens qu’ils en viennent à remplacer un acte législatif par une note de presse? Ont-ils oublié qu’ils sont élus pour gérer les séances de l’Assemblée et non pour décider en son nom, puisqu’elle est souveraine? Pourquoi la République dépense-t-elle une telle somme d’argent pour ces nuls? Ai-je toujours ma place dans cette république de zombis? Que fais-je encore dans cette jungle?

Photo Crédit: Génération C.

Dans ce moment de tourments, je n’ai qu’une seule envie : partir à l’étranger et tourner le dos au pays. Pour y avoir pensé souvent, j’étais loin de remettre en question cette idée, car c’est parfois la meilleure option qui existe. Il faut franchir le pas, pour notre bien-être mental, pour mieux avancer, pour s’accomplir autrement, pour préparer un avenir meilleur pour ces enfants. Il est important d’évoluer, de prendre des risques. Partir, ce n’est pas la fin du monde, mais le début d’un autre. C’est une décision qu’on ne peut, par contre, prendre à la légère, car l’on ne sait pas ce qui nous attend de l’autre côté.


Fatou Diome, dans son livre, le ventre de l’Atlantique, écrit : « partir, c'est devenir un tombeau ambulant rempli d'ombres, où les vivants et les morts ont l'absence en partage. Partir, c'est mourir d'absence. On revient, certes, mais on revient autre. Au retour, on cherche, mais on ne retrouve jamais ceux qu'on a quittés. La larme à l'oeil, on se résigne à constater que les masques qu'on leur avait taillés ne s'ajustent plus. »



Je me rappelle aussi cette phrase extraite d'un discours de Jean-Luc Mélenchon, l’homme politique français qui vend l’espoir à toute une génération de jeunes du monde entier : « Ton Pays est peut-être juste en train de traverser une tempête. Elle peut être économique, politique et sociale. Un pays en affronte une à chaque grande période de son existence. Et dans ces cas-là, il faut se prouver en tant que jeune, en tant que leader. Il ne faut pas se demander que faire et comment agir, parfois il faut juste poser de petites actions à grand impact qui font la différence. »

Photo credit: Getty images 
J'ai compris, à cet instant, qu’Haïti vit une saison cyclonique chargée de grosses tempêtes politiques. Il est important pour les jeunes Haïtiens de comprendre que le pays a grandement besoin d'eux pour passer à travers la pire saison de son histoire.


Cette mauvaise blague des parlementaires fut pour moi ce que des mots de motivations sont pour beaucoup d’entre nous : un énergisant apaisant! De cette mauvaise plaisanterie, je ressors positivement : secoué, pensif, mais confiant. Je me retrousse les manches et je continue de m’engager dans la lutte pour le changement du pays.



Après tout, Haïti est la femme qui ne me tournera jamais le dos, même dans mes moments d’infidélités. À partir de cette soirée, j’ai décidé que mes déceptions deviendraient ma source de motivation.

Pour cela, je vous dis merci Messieurs!


Talmer Kenley 

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