Festivité sanglante et aberration réelle



Vous souvenez-vous de ce que vous aviez prévu de faire la semaine dernière? Peut-être travailler,  emmener les enfants à l’école, se rendre chez le médecin, vendre des marchandises au petit marché… qui sait? De toute façon, dans cet univers où rien n’est jamais sûr, il vaut peut-être mieux de ne pas faire de prévision à long terme. Mais vivre au jour au le jour, est-ce la meilleure option?  Survivre? Chacun à son angle de vue. Et ceci, dans toutes les situations. Il existe toujours des groupes de personnes pour lesquelles la situation est favorable et d’autres pour qui la galère devient crédo.
Cela faisait plusieurs semaines depuis que le bruit courait les rues, telle une musique à la mode, la nouvelle se propageait. Tous se demandaient s’il s’agirait d’une forme de pression pour intimider le patron ou si cela ferait l’effet d’une coulée de vin rouge ou encore d’une explosion de feu d’artifice. Mais personne ne se doutait qu’en fait, nous aurions droit aux deux dernières hypothèses dans cette festivité sans bonheur. Cependant, tout au fond de chacun, somnolait l’idée que la fête tournerait en horreur. Fumée, lacrymogène, incendie…

En effet, la capitale a sombré dans l’effroi lorsque les coups de feu, par leur pouvoir destructeur ont fait couler le sang çà et là et occasionné la séquestration volontaire de plus d’un. Peur, angoisse, anxiété. Entre le corps d’un méchant trainé sur l’asphalte chaude à l’arrière d’une moto et celui d’un agent de police devenu soudain « griot », c’était la formule parfaite pour faire grimper sa tension artérielle et faire gonfler son cœur au son des coups de feu qui sans cesse rappelait le caractère éphémère de la vie.
Parlant de vie, combien en a-t-on ôté durant la semaine festive? Une trentaine, une cinquantaine? Je ne saurais préciser. Toutefois, certains ont tiré de ce malheur leur joie. Une euphorie. Euphorie de malheur. Les pauvres gens, soudain amoureux de leur logis, se noyaient dans la peur. Peur du lendemain qui se montrait si incertain. Tant de personnes puisent le souffle de vie de leur famille dans leurs activités quotidiennes.
En effet, une dame tenant une boutique de produit alimentaire à l’angle du Poste Marchand confia que cette semaine de vente perdue est loin d’être récupérable. S’occupant de trois enfants et devant payer sa tontine (ce que nous appelons familièrement «  sol » en Haiti) à la fin du mois, cette rupture aura de graves conséquences sur ses plans. Encore faut-il qu’elle puisse les remanier. Encore faut-il qu’il y ait un demain.
La nuit semblait tombée dès 5 heures de l’après-midi comme un complot bien planifié entre les citoyens de la ville et les faiseurs de troubles afin de laisser le champ libre à ces derniers d’opérer en toute quiétude. « J’ai tenté de mettre le nez dehors, histoire d’observer ce qui se passait mais, le vide de la rue en plein midi me glaça le sang » confia un jeune du quartier de Delmas 60. Oui, désertes ont été les rues toute la semaine durant. Pas de transports sinon que les motocyclistes qui circulaient à cœur  joie. Période de vache grasse. Mais il fallait que cela cesse.
Le coût des maux.
C’est bien connu en Haiti que les ravages que peuvent provoquer une grève donnent autant de mal que de peur. Mise à part le secteur informel qui en a jusqu’au cou, le secteur privé quant à lui n’en est pas moins victime. Des entreprises, organisations, en passant par les banques, tous ont dû se plier aux sept volontés des grévistes, rendant impossible toutes transactions. Cela va sans dire que l’économie du pays en pâtira. Selon l’économiste PIERRE François André, une situation d’incertitude grandissante plane sur Haiti par rapport à l’évolution prochaine de la situation socio-économique. Entre la gourde qui perd de la valeur et le dollar en croissance, les impacts sur le taux de change sont plus qu’évident. Les consommateurs, afin de maintenir un semblant de pouvoir d’achat vont sans doute changer leurs actifs en dollars.

De plus, en considérant un autre angle de vue, il est clair que le slogan «  Haiti is open for business » ne tient quasiment plus la route. Les potentiels investisseurs, quand bien même ils seraient déjà sur le territoire national, ne tarderont sans doute pas à reprendre leur avion, leur cash en poche. Comment investir sur un terrain miné où même le chacun pour soi ne donne pas de résultat?  Au-delà des indicateurs socio-économiques tangibles, poursuit Monsieur Pierre, un climat de scepticisme persiste et n’est pas propice aux investissements ni à un relèvement significatif de l’activité économique.
Absurdité, illogisme, chaos, désordre, énormité, altération, tohu-bohu, incongruité, tant de mots pour définir les maux causés un peu partout à travers la capitale ensanglantée. Les prochains jours, nul ne peut les prévoir. Qui sait quand le soleil se lève? Lorsque la peur se mêle à la rage, les malheurs peuvent s’étendre à l’infinie. Mais quand n’aurons-nous plus peur?



 Stayana  Marc- Charles 

Commentaires

  1. Toutes mes félicitations. Un très beau texte qui dépeint la situation chaotique du pays avec un réalisme déconcertant ...

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